Entretien avec Renaud Boussakhane - Arti’Vent
par Sylvie Irvoas, le 20 juin 2023
Ton parcours et pourquoi la fabrication des cuivres ?
Passer de la réparation à la fabrication s’est fait tout naturellement. La réparation donne une connaissance fine des modèles et je suis un infatigable chercheur. J’aime inventer des concepts et combiner de multiples possibilités. Je réalise du sur-mesure pour des trompettistes exigeants et en recherche de sonorités originales. Je crée mes propres branches, systèmes interchangeables, entre-deux amovibles etc... j’adapte aussi mes instruments aux exigences des musiciens, comme par exemple pouvoir monter le pavillon de leur choix sur un de mes modèles.
On peut essayer à l’atelier plusieurs configurations entre différentes branches et pavillons afin que chaque trompettiste puisse trouver SA combinaison et créer son propre instrument.
Pour les trompettes, j’ai inventé un concept inspiré de ce que propose un fabricant Suisse, c’est à dire, une trompette custom avec pavillon et branche sur rail. Le concept a évolué pour améliorer, au fil du temps, l’acoustique et le confort de jeu.
La customisation permet de proposer des options, le but final étant de réaliser l’instrument en montage traditionnel, il reste néanmoins possible d’assembler une trompette avec mon système démontable.
Pour les bugles, je me suis inspiré des grandes marques françaises.
Les bugles sont plus dans l’esprit traditionnel et ne bénéficient pas d’un système démontable comme mes trompettes.
Toutefois, je propose dans mon atelier, une gamme classique et une gamme Jazz. Cette dernière est toujours en cours de perfectionnement.
Je dispose d’une sélection de 4 principaux matériaux : le laiton jaune, le laiton rose, le cuivre rouge et le maillechort.
J’accorde les matériaux du pavillon et de la suite pour une uniformité mais il est possible d’associer deux matériaux différents (exemple : Pavillon maillechort / suite cuivre rouge).
Le tout avec une sélection d’allonges sous plusieurs perces (large, petite et pseudo conique) et matériaux.
Il est à noter que mes instruments sont réalisés avec mes propres plans dimensionnels et chaque pièce (hormis le bloc piston, le pavillon et les branches) est réalisée dans mon atelier.
Actuellement de nouveaux prototypes sont en cours tant pour les trompettes que pour les bugles.
Pour la recherche et développement, M. HERZINGER Florian (Professeur de trompette au conservatoire d’Epinal et référent testeur à l’atelier) m’apporte ses attentes et exigences de trompettiste professionnel et un regard juste et bienveillant.
Mes trompettes et mes bugles sont distribués sous ma propre marque, qui est aussi le nom de mon atelier : Arti’Vent.
Comment qualifierais-tu le son français des cuivres ?
Tout est une question de culture. Actuellement pour les bugles le marché est plus influencé par le timbre germanique.
Nous venons d’apprendre la fermeture de l’usine Couesnon qui est une grande perte pour l’industrie musicale française.
J’ai fabriqué un pavillon de bugle proche de celui de Couesnon. Il permet une grande facilité d’émission et une belle richesse harmonique. C’est ainsi que je garde cet esprit du son français.
La facture instrumentale française s’est éteinte fin 20ème début 21ème siècle. Les grandes marques comme Selmer, Buffet Crampon etc…. se sont recentrées sur des marchés plus vastes que sont le saxophone et la clarinette. L’entreprise Selmer a fabriqué des cuivres qui aujourd’hui sont très recherchés comme la trompette 80J ou le trombone Boléro . Quand il m’arrive d’en restaurer dans mon atelier, ses instruments trouvent preneur très rapidement.
L’entreprenariat
Aujourd’hui, je souhaite développer mon activité.
L’une des valeurs d’Arti’vent est de défendre l’artisanat, conçu et réalisé en France avec des partenaires européens. Je travaille la pièce unique et j’essaye de proposer un choix entre les matériaux.
Mes délais de fabrication sont d’environ 6 mois. Je propose aux musiciens des combinaisons infinies. On évoque jusqu’à 1000 possibilités sonores pour une trompette Sib. Je peux également moderniser un instrument déjà joué pour en faire une pièce unique. Cela suscite l’intérêt des instrumentistes. J’aimerais faire évoluer mon statut d’entrepreneur.
Mon domaine attire les musiciens qui souhaite customiser leurs instruments, tant les professionnels que les amateurs éclairés.
L'intelligence collective
Dans notre secteur d’activité, il y a une bonne synergie industrielle et nous développons une collaboration entre spécialistes (confrères, fabricants luthiers, réparateurs…) en mettant au service les uns des autres, nos compétences clés.
Nous sommes complémentaires et une vraie intelligence collective s’est développée entre nous ainsi qu’un très grand respect.
Je travaille avec bon nombre d’entre eux en sous-traitance pour la fabrication de mes pièces (boisseaux, branches selon mes plans, etc…)
Au vu de cette synergie, proposer de rouvrir l’association des ateliers réunis serait une belle idée mais difficile à mettre en œuvre.
Je mets l’humain au cœur de mon travail que j’exerce avec passion.
