Entretien avec Hugues Aufray
par Jacques Carbonneaux
Il n’est plus besoin de présenter Hugues Aufray tant il fait partie du paysage musical français au même titre que ses chansons font partie de notre patrimoine culturel.
Son dernier album « Autoportrait » est à l’image de l’artiste mais aussi de cet homme qui soufflera ses 92 bougies cette année avec toujours la même passion de la musique, de la culture et qui reste engagé dans des causes fondamentales.
Nous avons pu constater, depuis la crise sanitaire que nous vivons depuis plusieurs mois, que la musique a pris une place plus importante dans la vie des gens, notamment pendant le premier confinement. Beaucoup ont repris leurs instruments longtemps délaissés, les ventes de guitares et de claviers ont explosées et ce, partout dans le monde.
Il faut ajouter à cela que, depuis peu, l’état aide et soutient la création d’orchestres à l’école mis en place par l’association OAE. N’est-ce pas le moment opportun pour relancer l’idée que tu portes depuis tant d’années qui est de mettre le Ukulélé comme instrument à l’école ?
C’est un sujet que je connais bien et depuis longtemps car c’est en mai 68 que j’ai écrit « Adieu M. le professeur » un hommage aux enseignants ! Depuis tout ce temps, je me bats contre les différents ministères de « l’Education Nationale » et je leur demande de changer ce mot « éducation ». J’ai toujours pensé que la République par des subventions, forcément politisées, n’a pas à influencer ou à gérer l’Art en général, pour moi c’est le domaine exclusif du Mécénat. C’est le propre des Etats totalitaires de monopoliser la culture. Les Républiques n’ont pas été capables de découvrir des talents dans les domaines peinture, sculpture et littérature.
Il faut revenir au choix de la révolution française, créer un « Ministère de l’Instruction Publique », d’un côté l’enseignement, de l’autre l’éducation, ce n’est pas du tout la même chose ! On enseigne la physique, la chimie, les mathématiques mais l’éducation, c’est l’instruction du comportement de l’être humain avec les autres, dans la vie quotidienne, mais aussi par le Sport. Autrefois en effet, on parlait d’éducation physique et pour les autres disciplines on parlait d’enseignement… On ne disait pas d’un « professeur de chimie » qu’il était un « éducateur de chimie ».
Une bonne fois pour toute, finissons-en avec cette histoire !
Apparemment, aucun de ces responsables de l’éducation actuelle qui ont fait des études n’a lu Camus pour comprendre ces phrases comme « Mal nommer les choses engendre du malheur aux hommes », « Tout ce que j’ai appris en philosophie de la morale l’ai appris sur le stade de football ». Je précise : Bien nommer les choses ajoute du bonheur aux hommes.
Revenons à la musique, car de tous les arts, la musique est le plus abstrait. Quand un chef d’orchestre dirige son orchestre, il remue des mains et on entend un son prodigieux joué par des dizaines de musiciens qui ont fait des études extraordinaires pour en arriver là…
Cette abstraction qu’est la musique est devenue concrète sous les gestes et la baguette du chef d’orchestre ! Une fois la symphonie terminée, c’est le silence, il n’y a plus rien… Moment abstrait et magique né sous les doigts des artistes et leurs instruments : les Musiciens.
Ce qui est remarquable, c’est que la musique est à la fois un « enseignement » et une « éducation ». Ce n’est pas le cas des sciences ! Quand on étudie la chimie, on n’apprend pas à se comporter avec des chimistes ! Quand on apprend un instrument, on sait qu’avec cet instrument, on peut jouer dans un orchestre et à ce moment-là, tu vas avoir un comportement relationnel avec autrui : tu vas devoir écouter, respecter la tonalité, le tempo et le chef d’orchestre.
Ainsi la musique, cet art extraordinaire rassemble Enseignement et Education !
Revenons à l’abstraction que représente la musique par rapport à d’autres arts, comme la peinture, elle n’est jamais abstraite, il y a une matière, une odeur, un matériel et un tableau. Tout comme la sculpture, il y a une odeur, une matière, un matériel, on voit l’œuvre, on la touche. Pour moi, la musique est d’ordre transcendantale et divine. Transcendance qui différencie l’homme des autres mammifères.
Tout l’enseignement musical depuis des siècles, en particulier l’écriture de la musique, a été créé par des Moines. La musique est du domaine religieux ! Mais ça ne veut pas dire catholique, protestant, juif, musulman ou bouddhiste, elle accompagne l’homme dans les moments importants de sa vie : la naissance, le mariage, les enterrements et la guerre ! Pendant des siècles, la France chrétienne a été beaucoup plus musicale parce qu’il y avait encore une forte pratique religieuse. Aujourd’hui en France, ce sont les provinces les plus pratiquantes qui sont les plus musiciennes : Pays Basque, Bretagne, Alsace et Lorraine et Provence.
En 1905, la laïcité qui a malheureusement déclenché en France un terrible mouvement anticlérical a brisé toute relation avec l’église, elle a supprimé la culture et l’enseignement de la musique.
A l’église, le mariage chrétien s’accompagne de cantiques et de musique… A la mairie, des discours, mais pas de musique ! Si ce n’est depuis quelques temps des chansons de Claude François, Bruel ou de Obispo ! Après tout, pourquoi pas ! La petite différence, à l’église on se marie avec de la musique, à la mairie on s’unit avec des klaxons…
La musique a pratiquement disparu de notre enseignement et de notre instruction.
En 1946, quand j’avais 16 ans, J’ai découvert en Espagne, que de droite ou de gauche, ce pays était très religieux, il y avait de la musique partout. Les gens jouaient de la guitare. A l’époque en France, on jouait de l’accordéon, un instrument que j’aime beaucoup, ramené de la Chine en Italie par Marco Polo paraît-il.
Les français quant à eux n’ont rien trouvé de mieux que de choisir l’enseignement de la flûte douce aux enfants des écoles : La flûte dans la bouche du gamin, c’est la fin des haricots ! C’est un des instruments les plus difficiles que je connaisse, aussi pénible et rébarbatif que l’étude du solfège ! Idéal pour dégouter un enfant de la musique.
Quand tu as cet instrument à la bouche, tu ne peux pas chanter, et tu dois jouer ta mélodie sans rythme et sans harmonie.
La flûte douce depuis si longtemps enseignée par la République a été la plus grande bêtise que l’on puisse imaginer, une véritable catastrophe !
Ça fait soixante ans que je dis ça, que je dis qu’il faut enseigner aux enfants à jouer du Ukulélé, un instrument qui libère la bouche pour chanter, permet la création d’harmonies à la main gauche et le rythme à la main droite, Autonomie !
Par cet apprentissage, le Ukulélé ouvre les portes à la pratique plus complexe de la guitare.
Alors comment veux-tu faire ? quel est ton plan d’action ?
Je ne suis pas un révolutionnaire, je suis un réformateur ! Après la crise sanitaire, voici ce que je te propose : une réunion dans un théâtre, une tribune avec toi et tes collègues, j’expliquerai et je défendrai mon point de vue !
Faisons une grande Réforme pour qu’enfin le Ministre de l’Enseignement et de l’Education réalise que la musique est le mélange de ces deux courants et qu’il est nécessaire de les réunir sous le terme « Instruction Publique ». Pour le bien de tous !
Si les gens comprennent ce que je veux faire, je serai avec vous et aux côtés de vos organisations et associations. En effet, il y a une véritable renaissance et une envie de « faire de la musique dans la jeunesse Française », faire quelque chose pour qu’elle soit plus présente à l’école ! Les Beatles et Bob Dylan y sont pour quelque chose !
Depuis le début des années 50, j’ai eu le bonheur de participer au développement de la pratique de la guitare en France. Aujourd’hui, ce que je propose avec toi, c’est « la musique partout et pour tous » vaste programme !
Mais attention, ce n’est surtout pas une démarche politique.